L'impératif catégorique : deux premières formulations, Kant - Extrait et questions

Extrait :

Pour résoudre cette question, nous allons d'abord chercher s'il ne serait pas possible que le simple concept d'un impératif catégorique en fournisse aussi la formule, formule contenant la proposition qui seule peut être un impératif catégorique ; car la question de savoir comment un tel commandement absolu est possible alors même que nous en connaissons le sens, exigera encore un effort particulier et difficile que nous réservons pour la dernière section de l'ouvrage.

Quand je conçois un impératif hypothétique en général, je ne sais pas d'avance ce qu'il contiendra, jusqu'à ce que la condition me soit donnée. Mais si c'est un impératif catégorique que je conçois, je sais aussitôt ce qu'il contient. Car, puisque l'impératif ne contient en dehors de la loi que la nécessité, pour la maxime*, de se conformer à cette loi, et que la loi ne contient aucune condition à laquelle elle soit astreinte, il ne reste rien que l'universalité d'une loi en général, à laquelle la maxime de l'action doit être conforme, et c'est seulement cette conformité que l'impératif nous représente proprement comme nécessaire.

Il n'y a donc qu'un impératif catégorique, et c'est celui-ci : Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle.

Or, si de ce seul impératif tous les impératifs du devoir peuvent être dérivés comme de leur principe, quoique nous laissions non résolue la question de savoir si ce qu'on appelle le devoir n'est pas en somme un concept vide, nous pourrons cependant tout au moins montrer ce que nous entendons pas là et ce que ce concept veut dire.

Puisque l'universalité de la loi d'après laquelle des effets se produisent constitue ce qu'on appelle proprement nature dans le sens le plus général (quant à la forme), c'est-à-dire l'existence des objets en tant qu'elle est déterminée selon des lois universelles, l'impératif universel du devoir pourrait encore être énoncé en ces termes : Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en LOI UNIVERSELLE DE LA NATURE.

*(Note de Kant) La maxime est le principe subjectif de l'action, et doit être distinguée du principe objectif, c'est-à-dire de la loi pratique. La maxime contient la règle pratique que la raison détermine selon les conditions du sujet (en bien des cas selon son ignorance, ou encore selon ses inclinations), et elle est ainsi le principe d'après lequel le sujet agit ; tandis que la loi est le principe objectif, valable pour tout être raisonnable, le principe d'après lequel il doit agir, c'est-à-dire un impératif.

Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, tr. Delbos, Delagrave, Paris, 1989, p. 135-136.

Questions :

1. Au début du texte, Kant résume la méthode transcendantale qu'il se propose d'appliquer pour trouver la formule de l'impératif catégorique. Relevez l'énoncé de cette méthode et montrez, en vous appuyant sur vos analyses de l'extrait précédent, en quoi il s'agit d'une méthode de type transcendantal.

2. En quoi le résultat attendu de l'application de cette méthode, tel qu'il est présenté ici, est-il plus modeste que l'ambition initialement affichée par Kant, qui était de démontrer la possibilité d'un impératif catégorique comme "commandement absolu", dont la réalisation est explicitement reportée à "la dernière section de l'ouvrage" ?

3. Pourquoi le contenu de l'impératif catégorique peut-il être immédiatement connu, contrairement à celui des impératifs hypothétiques ?

4. Quel est, finalement, ce contenu ?

5. Analysez la première formule, ainsi déduite, du l'impératif catégorique : "Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle." Analysez chacune de ses clauses et comment leur combinaison permet de construire une loi de l'action qui commande absolument à la volonté :

a) "uniquement" : qu'implique cette clause d'exclusivité ?

b) "maxime" : reprenez la définition de ce qu'est une maxime figurant dans la note de Kant, et montrez en quoi la maxime permet d'établir une relation de continuité pratique entre la forme du commandement, et la réalisation concrète de l'action ;

c) "tu peux vouloir" : qu'est-ce qui rend possible cette clause de possibilité ? Peut-on le savoir à ce stade de l'analyse ?

d) "en même temps" : quel est le passage ainsi opéré et quels sont les deux plans entre lesquels il s'opère ? 

e) "une loi universelle" : à partir de votre réponse à la question 3, expliquez d'où provient cette clause d'universalité.

f) Quel peut être l'avantage d'une telle clause d'universalité pour la définition, sinon d'une morale définitive, du moins de ce qui pourrait constituer les règles formelles définitives de toute morale ?

6. Quelle nécessité y a-t-il, par conséquent, à montrer quelle est la signification du concept d'impératif catégorique ainsi défini, et quel risque y aurait-il à ne pas le faire ?

7. Comment la nature est-elle ici définie ? De quel type cette définition relève-t-elle ?

8. En quoi cette mise en relation de l'idée d'universalité de la loi avec la notion de nature :

a) implique-t-elle une inflexion de la perspective sous laquelle était initialement définie la loi morale ?

b) Plus précisément, en quoi permet-elle de passer d'un principe formel de commandement, à un principe pratique, pouvant déboucher sur une action effective ? 

9. Examinez à présent la deuxième formule de l'impératif catégorique : "Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en LOI UNIVERSELLE DE LA NATURE."

a) Que modifie le fait d'être passé d'une "loi universelle" (première formulation) à une "loi universelle de la nature" ?

b) Comment interprétez-vous la locution : "comme si" ?

• L'agent pratique qui veut faire son devoir érige-t-il réellement la maxime de son action en loi universelle de la nature ?
  
• En quoi ne s'agit-il pas pour autant d'une fiction, au point de vue pratique ?
  
• Quel type de critère cette opération de jugement, fondée sur l'usage d'une procédure d'universalisation de la maxime, fournit-elle à l'agent pratique ?
  

10. Quel intérêt voyez-vous à examiner, lorsqu'il s'agit de savoir comment agir, si la règle en fonction de laquelle vous vous proposez d'agir peut ou non s'appliquer à tout le monde, en tout temps et en tout lieu ?